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Structures algébriques
Didier Piau et Bernard Ycart
Licence CC-BY
Origine : M@ths en ligne - Université Joseph Fourier
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Mots-clés: Mots-clés : relation, loi de composition, groupe, sous-groupe, noyau, puissance, ordre, anneau, corps
Sommaire
L'expérience indique que l'étude abstraite des structures algébriques peut se révéler fascinante ou épuisante selon la personnalité de chacun. Un inconvénient, peut-être inévitable, de cette étude est qu'il est difficile de mettre immédiatement en relief l'utilité des résultats démontrés ; il faut passer un certain temps dans la théorie, puis de nouveau un certain temps dans des chapitres plus concrets où les résultats accumulés seront recyclés.
Tentons cependant de rassurer le lecteur grâce à la constatation suivante (à moins que cette constatation ne l'effraie encore plus) : une bonne part des résultats énoncés sur les groupes finis (concept d'ordre, théorème de Lagrange, etc.) aura l'occasion d'être mise en application dès le chapitre d'arithmétique. En effet, une première utilité de la théorie des groupes est de formaliser et systématiser les calculs usuels qu'on sait pratiquer sur les ensembles de nombres.
L'autre point de vue sur lequel on peut insister est celui des groupes formés de bijections, mais malheureusement on aura peu l'occasion de les voir vraiment appliqués dans la suite de ce cours de première année. En revanche, on peut affirmer que des connaissances sur les groupes de permutations (groupes de bijections des ensembles finis) sont bien utiles de ci de là, en informatique par exemple. Et de toutes façons l'investissement sera rentabilisé dès que le lecteur apprendra plus de géométrie, ce qui reste un cadre idéal d'usage des groupes de transformations.
Vous avez déjà rencontré cette notion dans votre cursus ; rappelons qu'intuitivement, une relation sur un ensemble est la description de liens entre certains éléments de
. Donnons des exemples avant même la définition.
Exemple 1 1) La relation «est inférieur ou égal à» sur l'ensemble des réels : pour deux réels
et
, on peut avoir
ou non.
2) La relation «est inclus dans» sur l'ensemble des parties d'un ensemble : pour deux parties et
, on peut avoir
ou
ou aucun des deux.
3) La relation «a le même cardinal que» sur l'ensemble des parties d'un ensemble fini.
4) Plus exotique : la relation «coïncide en au moins un point avec» pour des fonctions définies sur un même ensemble.
Définition Le graphe d'une relation
sur un ensemble
est l'ensemble des couples
de
tels que
.
Sermon
Attention à bien lire cette définition, qui, comme toutes ses consœurs de la suite de ce cours, peut être mal retenue par de jeunes âmes peu scrupuleuses mathématiquement parlant. Il est facile de retenir que le graphe de a un rapport avec
. Mais soulignons que le graphe est un ensemble.
Profitons en pour signaler dès l'abord que les divers objets qui sont définis dans ce cours entrent dans un petit nombre de catégories : souvent des ensembles, assez souvent des applications, souvent des -uplets (qui ne sont rien d'autres que des applications particulières, sauriez-vous préciser pourquoi ?), souvent aussi des nombres (entiers, réels ou autres), plus rarement des relations, etc. Il n'est pas difficile de savoir dans quelle catégorie ranger les graphes : ce ne sont manifestement pas des triplets, ni des nombres complexes ! Le plus important est de ne pas oublier de les ranger quelque part. Savoir à quelle catégorie appartient un objet permet d'éviter les bourdes les plus monumentales : ainsi, le symbole
aura un sens entre deux ensembles, pas entre deux réels, et réciproquement pour le symbole
. On profitera du fait que la première phrase de cette section contient les mots «élément» et «ensemble» pour vérifier qu'on ne confond pas les deux.
C'était la fin de notre sermon d'aujourd'hui.
Voici maintenant quatre définitions rébarbatives, mais incontournables.
Définition Soit
un ensemble et
une relation sur
.
1) La relation est réflexive lorsque pour tout élément
de
,
.
2) La relation est symétrique lorsque pour tous éléments
et
de
, si
, alors
.
3) La relation est transitive lorsque pour tous éléments
,
et
de
, si
et si
, alors
.
4) La relation est anti-symétrique lorsque pour tous éléments
et
de
, si
et si
, alors
.
Quelques commentaires sur la dernière condition, qui est sans doute la plus difficile à bien mémoriser des quatre : c'est, comme son nom l'indique, en gros le contraire de la propriété de symétrie. La symétrie exige que quand deux éléments sont liés dans un sens, ils le sont aussi dans l'autre. L'anti-symétrie, c'est approximativement demander que si deux éléments sont liés dans un sens, ils ne le sont pas dans l'autre. Mais cette condition empêcherait un élément d'être lié à lui-même, ce qui ne serait pas désespérant en soi mais ne serait pas conforme à l'usage. De fait, l'usage s'est fait de compliquer la définition afin de garder la permission pour un élément d'être lié à lui-même.
On comprendra peut-être un peu mieux la définition en écrivant la contraposée de l'implication qu'elle contient.
Autre formulation de la définition de l'anti-symétrie Une relation sur un ensemble
est anti-symétrique lorsque pour tous éléments
et
distincts de
, on ne peut avoir simultanément
et
.
Comme nous sommes encore débutants, faisons l'effort d'expliciter une autre façon de présenter la même notion.
Autre formulation de la définition de l'anti-symétrie Une relation sur un ensemble
est anti-symétrique lorsque pour tous éléments
et
distincts de
,
est faux ou
est faux.
Bien évidemment, ce genre de liste de formulations équivalentes n'est surtout pas à «savoir par cœur». Ce qui est par contre indispensable, c'est de se familariser avec les petites manipulations qui permettent de passer de l'une à l'autre, selon les besoins.
En pratique, les relations qui pourront nous intéresser dans ce cours ne seront jamais bien compliquées ; le vocabulaire que nous avons dû ingurgiter depuis le début de ce chapitre n'a d'utilité que pour savoir reconnaître deux types très particuliers de relations : les relations d'ordre, auxquelles cette section est consacrée, puis, dans la section prochaine, les relations d'équivalence.
Définition Une relation est une relation d'ordre lorsqu'elle est simultanément réflexive, transitive et anti-symétrique.
Considérons par exemple la relation «divise»sur l'ensemble . C'est une relation d'ordre ; son graphe est visualisé par des flèches sur la figure 1.
Intuitivement, une relation d'ordre est une relation qui peut raisonnablement être appelée «est supérieur ou égal à» ou, bien sûr, «est inférieur ou égal à».
Exemple La relation «
» sur
est une relation d'ordre. Pour tout ensemble
fixé, la relation «
» sur
est une relation d'ordre. La seconde est sans doute plus compliquée à maîtriser que la première dans la mesure où deux parties de
ne sont pas forcément comparables l'une à l'autre.
Le morceau est plus sérieux pour les relations d'équivalence que pour les relations d'ordre, car on ne va pas se contenter de donner une définition, mais on va aussi voir le lien avec un autre concept. Pour expliquer intuitivement ce qui va suivre, une relation d'équivalence est une relation qui peut raisonnablement s'appeler «est de la même catégorie que» et une partition est une répartition en catégories.
Définition Une relation est une relation d'équivalence lorsqu'elle est simultanément réflexive, symétrique et transitive.
Exemple L'égalité sur n'importe quel ensemble
fixé. La relation «a même parité que» sur l'ensemble
des entiers naturels. La relation «est confondue avec ou parallèle à» sur l'ensemble des droites d'un plan affine.
Avalons encore trois définitions de plus en plus indigestes mais ce n'est pas gratuit, les concepts serviront plus loin, notamment en arithmétique.
Définition Soit
une relation d'équivalence sur un ensemble
, et soit
un élément de
. On appelle classe d'équivalence de
modulo
l'ensemble
Avec des mots, la classe d'équivalence de est l'ensemble formé des éléments de la même catégorie que
.
Notation On note
la classe d'équivalence d'un élément
de
pour la relation d'équivalence
.
On abrège souvent en
. Une autre notation pour la classe d'équivalence de
est å mais nous l'utiliserons rarement dans ce cours. Par contre, nous désignerons souvent les relations d'équivalence par le signe
.
Sans commentaires, car il y en aura plus loin, un objet plus étrange :
Définition Soit
une relation d'équivalence sur un ensemble
. On appelle
ensemble-quotient de par la relation
l'ensemble :
Attention tout de même ! Comme est une partie (et non un élément) de
, l'ensemble-quotient est un ensemble de parties de
. Ce n'est pas une partie de
mais une partie de
. Ce n'est pas si compliqué, mais il ne faut pas s'y perdre.
Notation L'ensemble-quotient de
par
est noté
.
On remarquera qu'en général, chaque élément de l'ensemble quotient
peut s'écrire comme
pour de nombreux éléments
différents de
: très précisément,
s'écrit
pour un élément
de
tel que
, et aussi
pour tous les éléments
de
tels que
.
Définition Une partition d'un ensemble
est un ensemble
de parties de
vérifiant les trois propriétés suivantes :
(i) L'ensemble vide n'est pas un élément de .
(ii) Deux éléments distincts de sont disjoints.
(iii) Tout élément de appartient à un élément de
.
C'est dur à avaler parce qu'on rentre inévitablement dans le monde des ensembles dont les éléments sont eux-mêmes des ensembles. Les éléments de sont des parties de
et doivent donc être pensés comme des groupes d'éléments de
vérifiant une condition commune. Et
: une partition de
est une partie de l'ensemble des parties de
(ouf !).
Exemple En notant
l'ensemble des entiers impairs et
l'ensemble des entiers pairs,
est une partition de
.
Tentons maintenant de commenter les conditions de la définition defparti. La condition (i) est sans grand intérêt et juste là pour que les énoncés marchent bien. La condition (ii) nous assure qu'on n'a inscrit aucun élément de dans deux catégories à la fois. La condition (iii) signifie qu'on n'a oublié d'inscrire personne : tout élément de
est dans un groupe.
On remarquera qu'on peut regrouper les deux conditions significatives, ce qui donne l'énoncé suivant.
Autre formulation de la définition d'une partition Une partition d'un ensemble est un ensemble
de parties de
vérifiant les deux propriétés (i) et (iv) ci-dessous :
(i) L'ensemble vide n'est pas un élément de .
(iv) Tout élément de appartient à un et un seul élément de
.
Bien évidemment là encore il n'est pas question d'apprendre par cœur ce genre de reformulation. Il faut se convaincre, et ici ce n'est peut-être pas facile, qu'elle est bien équivalente à la précédente.
Et voici maintenant la synthèse finale, qui expliquera ce qu'est un ensemble-quotient à ceux qui ont compris ce qu'est une partition, et expliquera ce qu'est une partition à ceux qui ont compris ce qu'est un ensemble-quotient (figure 2).
Proposition Soit
une relation d'équivalence sur un ensemble
. L'ensemble-quotient
est une partition de
.
Complément Toute partition de peut s'obtenir ainsi comme quotient par une relation d'équivalence de
et cette relation d'équivalence est unique.
La preuve du complément est laissée au lecteur.
Démonstration : Vérifions successivement les trois propriétés définissant une partition.
Vérifions successivement les trois propriétés définissant une partition.
Vérification de (i) : Soit un élément de
. Par définition de
, il existe un élément
de
tel que
. Comme
est réflexive,
, donc
appartient à
. Ainsi
n'est pas réduit à l'ensemble vide.
Vérification de (ii) : Soient et
deux éléments de
. On peut trouver des éléments
et
de
tels que
et
. On doit montrer que si
et
sont distincts, ils sont alors disjoints, et on va procéder par contraposition, c'est-à-dire en montrant que si
et
ne sont pas disjoints, ils sont égaux.
Supposons donc et
non disjoints. L'objectif est de prouver que
, on va montrer successivement les inclusions
et
.
Par l'hypothèse qu'on vient de faire, on peut prendre un élément de
qui appartient simultanément à
et à
.
Première inclusion : Montrons tout d'abord que . Pour ce faire, prenons un
quelconque et prouvons que
.
Comme , par définition d'une classe d'équivalence, on obtient
. Comme
, on obtient de même
, puis, grâce à la symétrie de
, on obtient
. Comme
, on obtient enfin
. En mettant bout à bout les trois informations ainsi obtenues (
,
et
) et en jouant deux fois sur la transitivité de
, on obtient alors que
, c'est-à-dire que
.
Ceci prouve bien que .
Deuxième inclusion : L'astuce est ici classique, elle consiste à remarquer que nos hypothèses (à savoir que et
sont des classes d'équivalence, et qu'elles ne sont pas disjointes) sont symétriques en
et
. Dès lors, en échangeant
et
dans le morceau précédent de la preuve, on obtient bien l'inclusion
.
Par double inclusion, on a donc .
Finalement, on a montré que si , alors
. La propriété (ii) est prouvée. Ouf, c'était le plus gros morceau !
Vérification de (iii) : Soit un élément de
. Comme
est réflexive,
appartient à
, et de ce fait on a bien trouvé un élément de
dont
est lui-même élément.
C'est fini !
Définition On appelle loi de composition sur un ensemble
une application de
vers
.
En fait, bien que cette définition soit générale, on n'aurait pas l'idée d'appeler «loi de composition» n'importe quelle application de vers
; le vocable n'est utilisé que quand il est naturel de noter l'application par un symbole opératoire. Des exemples typiques de lois de composition sont l'addition
de
vers
, qui associe
à
; ou bien la loi de composition
sur l'ensemble
des applications de
vers
, qui associe l'application
au couple d'applications
. Pour des lois de composition abstraites, le symbole opératoire
a été à la mode et nous l'utiliserons occasionnellement, surtout au début, mais nous nous contenterons rapidement de la notation multiplicative
, ou même simplement
, pour l'élément obtenu en appliquant la loi de composition à
.
Voici un peu de vocabulaire au sujet des lois de composition.
Définition Soit
une loi de composition sur un ensemble
.
On dit que est commutative lorsque pour tous éléments
et
de
,
On dit que est associative lorsque pour tous éléments
,
et
de
,
On dit qu'un élément de
est élément neutre pour
lorsque pour tout élément
de
,
La cohérence de ce qui suit nécessite d'énoncer tout de suite un résultat simplissime.
Proposition Une loi de composition possède au plus un élément neutre.
Soit et
deux éléments neutres pour une loi de composition
. Comme
est neutre,
et comme
est neutre,
. Donc
.
On parlera donc de l'élément neutre avec l'article défini, lorsqu'il existe un élément neutre.
Définition Soit
une loi de composition sur un ensemble
admettant un élément neutre noté
et soit
un élément de
. On dit qu'un élément
de
est symétrique (ou inverse) de
lorsque
Là encore, glissons sans tarder une évidence.
Proposition Soit
une loi de composition sur un ensemble
, associative et possédant un élément neutre. Chaque élément possède au plus un symétrique.
Soit le neutre de
, soit
un élément de
et soient
et
deux symétriques de
. Alors d'une part
et d'autre part
. Par associativité de la loi de composition,
, d'où
.
Les lois de composition intéressantes étant en pratique associatives, on pourra donc faire plein usage de la notation suivante.
Notation Le symétrique d'un élément
est noté
.
Maintenant que nous savons manipuler une loi de composition sur un seul ensemble, apprenons à évoluer d'un ensemble muni d'une loi de composition vers un autre.
Définition Soit
un ensemble muni d'une loi de composition
et
un ensemble muni d'une loi de composition
. On dit qu'une application
est un morphisme lorsque pour tous éléments
et
de
, on a l'identité :
Définition Un morphisme bijectif est appelé un isomorphisme.
Il semble plus facile d'expliquer la notion d'isomorphisme que celle de morphisme en général ; deux lois de composition sur deux ensembles fourniront des structures isomorphes lorsque ces deux lois de composition agissent de la même façon, seuls les noms des éléments changeant. La phrase précédente n'étant peut-être pas si claire que cela, donnons plutôt des exemples, c'est toujours bien les exemples.
Exemple Considérons tout d'abord la bijection
de l'ensemble
définie par
Avec à peine un peu de bon sens (tout mathématicien pense très vite à
comme «faisant tourner» les quatre éléments de
), on voit sans guère de calculs que
est la bijection
de
définie par
puis que
est la bijection
de
définie par
et enfin que
est tout simplement l'identité de
, que l'on note désormais
.
Pour abréger les calculs qui suivent, introduisons une notation.
Notation Pour tout élément
d'un ensemble
muni d'une loi de composition
et pour tout entier
, notons
la composition de
avec lui-même
fois. Ainsi,
puis, pour tout
,
. Si la loi de composition
est munie d'un neutre
, on notera aussi
. Enfin, on abrège souvent
en
.
En utilisant cette notation, on peut très facilement calculer tous les produits deux à deux des bijections introduites ici ; par exemple .
On considère alors l'ensemble et on voit que
est une loi de composition sur ce sous-ensemble de
, qui sera agréablement décrite par le tableau suivant, que l'on appelle une table de composition.
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Considérons à présent l'ensemble des nombres complexes dont la puissance quatrième vaut , c'est-à-dire l'ensemble
. Il est très facile de constater que la multiplication des nombres complexes définit une loi de composition sur
, dont la table est donnée ci-dessous.
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Visuellement, on retrouve la même table, seuls les noms des éléments ont changé. C'est signe qu'il y a un isomorphisme camouflé. On le détectera facilement ; c'est bien sûr l'application de
vers
définie par :
Exemple Soit
l'ensemble des rotations de centre
dans le plan, et soit
le cercle-unité de
, c'est-à-dire l'ensemble des nombres complexes de module 1. Les lois de composition respectivement envisagées sur
et sur
sont la composition des applications et la multiplication. On définit une application
en envoyant la rotation d'angle
sur le nombre
.
Il faut tout d'abord se soucier de vérifier que cette définition n'est pas ambiguë, car elle n'est pas loin de l'être ! Une rotation peut en effet être caractérisée par plusieurs angles (tourner d'un quart de tour dans le sens trigonométrique, c'est aussi tourner de trois quarts de tour dans le sens des aiguilles d'une montre), mais deux angles distincts et
correspondant à la même bijection diffèrent d'un multiple entier de
; il existe donc un entier
tel que
. Les valeurs
et
sont donc égales, et l'application
est bien définie.
Une fois cette mise au point effectuée, vérifier que est un morphisme est sans problème : si
est la rotation d'angle
et
la rotation d'angle
, la composée
est la rotation
d'angle
, et on a donc :
Montrer que
est bijective n'est pas difficile ; on en conclut que
est un isomorphisme, en d'autres termes que l'étude des nombres complexes de module 1 nous instruira sur le fonctionnement des rotations.
Exemple Voici enfin un morphisme qui n'est pas un isomorphisme et qui est pourtant une simple variante du précédent. Considérons l'application
de
(muni de l'addition) vers
(le même qu'à l'exemple précédent, muni de la multiplication) définie par
. On voit facilement que
est un morphisme, mais comme, par exemple,
,
n'est pas une bijection donc pas un isomorphisme.
À l'évidence (et c'est sans doute ce que vous fîtes au lycée), on peut voir comme l'application qui «enroule» de façon régulière une corde (la droite
) sur une roue (le cercle
), encore et encore.
Définition Soit
un ensemble muni d'une loi de composition
. On dit que
est un groupe lorsque les trois conditions suivantes sont réalisées :
(i) La loi de composition est associative.
(ii) La loi de composition possède un élément neutre.
(iii) Tout élément de possède un symétrique pour
.
Définition Un groupe
est dit abélien (ou commutatif) lorsque sa loi de composition est commutative.
Avant de donner des exemples, quelques remarques d'ordre purement calculatoire sur les groupes. Comme promis plus haut, on utilise désormais la notation multiplicative, donc désigne le composé des éléments
et
d'un groupe
.
Proposition Soit
un groupe. Alors pour tous éléments
,
et
de
:
1) Si , alors
.
2) Si , alors
.
3) Le symétrique de est
.
Démonstration : Il n'y a que des vérifications simples et basées sur l'associativité ; pour (1), si on suppose , en multipliant à droite par
on obtient
et donc
, c'est-à-dire
. On prouve (2) de la même façon en multipliant à gauche par
. La preuve du (3) se réduit à deux calculs élémentaires :
et
ce qui conclut la démonstration.
Remarque Au fait, pourquoi faut-il effectuer les deux calculs élémentaires ci-dessus ? Un seul ne suffirait-il pas ? La réponse est non ; on rappelle que est le symétrique de
si
et aussi
valent
.
Maintenant que l'on sait calculer dans les groupes, il est temps de donner les exemples les plus élémentaires : regardons les lois de composition que nous connaissons le mieux, elles concernent les ensembles de nombres usuels.
Additions : elles sont associatives, ont un élément neutre noté . Dans
, le symétrique peut faire défaut ; ainsi
n'a pas d'opposé. Dans
(puis dans les ensembles usuels bien connus), l'opposé existe. Ainsi
est un groupe pour l'addition.
Multiplication : n'a jamais d'inverse, donc les ensembles de nombres bien connus ne sont jamais des groupes pour la multiplication. En revanche, si on considère le sous-ensemble formé des éléments non nuls, la multiplication y est bien définie, elle est associative et elle possède un élément neutre noté
. Le point à problème est l'existence du symétrique (de l'inverse en notation multiplicative). Dans
, il fait défaut à la plupart des éléments, ainsi
n'a pas d'inverse ;
n'est donc pas un groupe. En revanche, dans
(l'ensemble des fractions non nulles) ou
ou
, l'existence de l'inverse ne pose pas de problème. Tous ces ensembles sont donc des groupes multiplicatifs.
Encore quelques propriétés de bon sens, mais qu'il ne coûte rien d'énoncer. Elles paraissent évidentes si on comprend qu'un morphisme est moralement une application qui transporte la structure ; si elle transporte la loi de composition, elle doit aussi transporter ses caractéristiques, telles que l'élément neutre et le symétrique.
Proposition Soit
un morphisme d'un groupe
, d'élément neutre
, vers un groupe
, d'élément neutre
.
Alors et, pour tout élément
de
,
.
Essentiellement de la simple vérification ; pour le neutre, il s'agit d'une (petite) astuce : on calcule puis on simplifie par
. Pour l'inverse, on fait un calcul très simple :
et simultanément,
. Ceci montre bien que
est l'inverse de
.
Cette partie est consacrée à deux exemples fondamentaux de classes de groupes finis. La première classe est composée de groupes abéliens, la seconde de groupes non abéliens sauf dans des cas dégénérés.
Définition Pour tout entier
, appelons
le groupe
muni de la loi de composition, notée
, définie comme suit. Si les éléments
et
de
sont tels que
, on pose
. Sinon,
et on pose
.
Proposition Pour tout
,
est un groupe abélien de neutre
.
Le seul point notable est que l'inverse de vaut
et celui d'un élément
vaut
.
On verra plus tard une présentation plus intrinsèque des groupes comme quotients du groupe
muni de l'addition. Profitons tout de même du moment pour introduire une définition.
Définition Soit
un groupe de loi de composition
et de neutre
et soit
un élément de
. L'ordre de
est le plus petit entier
, s'il existe, tel que
. Sinon on dit que l'ordre de
est infini.
Bien sûr, l'ordre du neutre vaut toujours et l'ordre de tout élément d'un groupe fini de cardinal fini
est fini et inférieur ou égal à
. Nous verrons bientôt que c'est forcément un diviseur de
.
Outre les groupes , les groupes les plus directement utilisables sont sans doute ceux qui interviennent en géométrie. Ce sont des groupes de transformations «respectant» telle ou telle propriété ; ainsi les isométries, qui conservent les distances, ou les similitudes, qui conservent les angles. Et ils constituent notre deuxième classe d'exemples.
Tous ces groupes ont le point commun d'avoir pour loi de composition , la composition des applications, et d'être formés de bijections.
Fondamentale (quoique très facile) sera donc l'affirmation suivante.
Proposition Soit
un ensemble. L'ensemble des bijections de
dans lui-même forme un groupe pour la composition.
Tout est très simple. On vérifie que, pour toute bijection de
, la bijection réciproque est un symétrique de
; que la composée de deux bijections est une bijection, par exemple parce que
se révèle un inverse de
; que la composition est associative ; et enfin que
est son neutre. On a déjà fini !
Notation Soit
un ensemble. L'ensemble des bijections de
dans lui-même est noté
.
On utilise souvent (au moins en mathématiques, en informatique et en analyse du génome) le cas particulier du groupe des bijections d'un ensemble fini. L'archétype d'un tel ensemble fini étant , cela justifie d'introduire une toute spéciale notation.
Notation Pour tout entier
, on note
. L'ensemble des bijections de
s'appelle le groupe des permutations sur
éléments. On le note
.
Tentons de découvrir comment fonctionne le groupe des permutations pour
pas trop gros ; il vaut même mieux prendre
franchement petit, car
possédant
éléments, on serait vite débordé.
Pour , le groupe n'a qu'un élément ; sa table est vite tracée.
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Pour , il y a deux bijections de
: celle qui échange les deux éléments, qu'on notera
, et l'identité.
La table du groupe est donc la suivante.
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À partir de , les calculs complets seraient nettement plus fastidieux. On va en profiter pour introduire des notations et énumérer les ensembles
.
Notation On dispose de plusieurs notations pour désigner une permutation
élément de
. La première est
que l'on abrège parfois en
Définition Une orbite d'une permutation
élément de
est une partie
On peut expliciter la structure des orbites comme suit.
Proposition Pour toute permutation
et tout élément
de
, il existe un entier
tel que
. Le plus petit entier
qui vérifie cette propriété est le cardinal de l'orbite de
et s'appelle la taille de l'orbite de
.
Définition Un cycle
est un élément de
qui possède exactement une orbite de longueur différente de
.
Pour tout cycle de longueur
, il existe donc une partie
de cardinal
telle que
pour tout élément
de
. De plus, on peut numéroter les éléments de
comme suit :
Notation On désigne le cycle
de longueur
ci-dessus par l'écriture
Avertissement On aura remarqué que la notation n.cyc est affreusement proche de l'écriture abrégée d'une permutation quelconque donnée dans la notation n.perm, la seule différence portant sur la présence ou l'absence de virgules.
Bien sûr, si le nombre d'entiers figurant dans l'écriture de est différent de
, on désigne forcément le cycle. Dans le cas contraire, on veillera à ne pas confondre
puisque
est un cycle de longueur
et
est la permutation identité.
Enfin, remarquons qu'un cycle dispose de plusieurs écritures différentes, par exemple Fin de l'avertissement.
Il est à présent facile d'énumérer les éléments de : outre l'identité, que l'on va noter
, il y en a trois d'apparence identique : l'un, que je noterai
, échange
et
en laissant
fixe ; un autre, que je me garderai astucieusement de noter, échange
et
en laissant
fixe ; le dernier échange
et
en laissant
fixe. Enfin deux autres jouent aussi des rôles voisins : l'un, que je noterai
, fait «tourner» les trois éléments de
en envoyant
sur
,
sur
, et
sur
; l'autre, dont je remarquerai que c'est le carré de
, les fait «tourner» dans l'autre sens. Ainsi,
On va remplir la table du groupe par ajouts successifs d'information. L'information la plus récente sera systématiquement portée en gras.
Au point où nous en sommes, il est facile de commencer en remarquant que tandis que
, comme on l'a déjà dit, est distinct de
. En outre les trois autres éléments ont un carré égal à
.
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C'est le bon moment pour glisser une remarque importante : dans la table de composition d'un groupe on trouve chaque élément du groupe une fois et une seule dans chaque ligne, et dans chaque colonne. Sauriez-vous le démontrer ? Sinon, cher lecteur, nous vous conseillons d'arrêter votre lecture et de chercher une démonstration.
Le produit ne peut être présent deux fois dans la colonne
, ni deux fois dans la ligne
. Il est donc distinct des éléments qui y figurent déjà, c'est-à-dire de
, de
, de
et de
. C'est donc un cinquième élément, qu'on peut alors faire figurer dans la cinquième ligne et la cinquième colonne du tableau. On calcule au passage sans mal
, et
.
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Puis à son tour, ne peut déjà figurer dans la ligne
ni dans la colonne
: c'est donc le sixième élément. On peut l'ajouter au tableau en complétant par quelques calculs évidents.
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En utilisant toujours l'astuce selon laquelle il ne peut y avoir deux fois la même valeur dans une ligne ni dans une colonne, on arrive à calculer et
par simple élimination de cinq valeurs impossibles.
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Surprise ! On vient de montrer avec une étonnante économie de calculs que le groupe n'est pas commutatif ; en effet .
Le même truc des répétitions interdites permet de compléter le coin inférieur droit du tableau.
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Dernier obstacle inattendu, alors que nous avions presque fini, avec la méthode, maintenant classique pour nous, de remplir les cases par élimination, cette méthode est insuffisante pour remplir les six misérables cases laissées blanches ! Il faut une nouvelle astuce pour passer cet obstacle. Concentrons-nous sur la case correspondant au produit . Pour calculer ce produit, bidouillons un peu :
. Une nouvelle case est remplie :
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Cette étape franchie, il est désormais très facile de finir de remplir la table en utilisant l'idée simple : pas plus d'une apparition par ligne ou par colonne.
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On a donc obtenu la table complète de la loi de composition sur
, en n'utilisant que des techniques élémentaires.
Maintenant que nous connaissons ce que nous avons pompeusement appelé les exemples fondamentaux, il reste à apprendre à tirer de ces exemples trop fondamentaux pour être vraiment utiles des exemples plus concrets.
Pour cela, introduisons une nouvelle notion.
Définition Soit
un groupe. On dit qu'un sous-ensemble
de
est un sous-groupe de
lorsque les trois conditions suivantes sont vérifiées :
(i) L'ensemble n'est pas vide.
(ii) Pour tous et
de
, le produit
est aussi dans
.
(iii) Pour tout de
, l'inverse
de
est aussi dans
.
Avant de commenter ce que ça veut dire, donnons tout de suite une proposition très simple, et utile en pratique pour vérifier qu'un sous-ensemble d'un groupe est un sous-groupe.
Proposition Soit
un groupe. Un sous-ensemble
de
est un sous-groupe de
si et seulement si les deux conditions suivantes sont vérifiées :
(i) L'ensemble n'est pas vide.
(iv) Pour tous et
de
, le produit
est aussi dans
.
Supposons que est un sous-groupe de
, c'est-à-dire qu'il vérifie (i), (ii) et (iii). Il est alors clair que (i) est vérifiée.
Montrons que vérifie (iv). Soit
et
deux éléments de
. En appliquant (iii) à
, on constate que
est aussi dans
, puis en appliquant (ii) à
et
que le produit
aussi. Cette partie de la preuve est déjà finie !
Supposons maintenant que vérifie (i) et (iv). Vérifier (i) est bien sûr sans problème. Avant de montrer que
vérifie (ii) et (iii), montrons préalablement que
appartient à
, où
désigne l'élément neutre de
. En effet
n'étant pas vide, on peut prendre un élément
dans
, puis appliquer l'hypothèse (iv) à
et
pour conclure que
appartient à
.
Montrons maintenant que vérifie (iii). Soit
un élément de
. Puisqu'on sait maintenant que
aussi est dans
, on peut appliquer (iv) à
et
pour obtenir
, c'est-à-dire
.
Montrons enfin que vérifie (ii). Soit
et
deux éléments de
. Par la propriété (iii) appliquée à
,
, puis par la propriété (iv) appliquée à
et
,
, c'est-à-dire
.
Bien que le résultat qui suive soit très simple à démontrer, son importance lui fait mériter l'appellation de :
Théorème Soit
un groupe et
un sous-groupe de
. La restriction à
de la loi de composition sur
fait de
un groupe.
Il ne faut pas manquer de vérifier la possibilité de restreindre la loi de composition initiale, application de vers
à une loi de composition sur
, c'est-à-dire une application de
vers
. Comme on veut restreindre non seulement l'ensemble de départ mais aussi l'ensemble d'arrivée, on est dans la situation où il faut spécialement prendre garde. Mais la propriété (ii) de la définition des «sous-groupes» assure précisément que la loi de composition de
envoie l'ensemble
dans
et que la restriction a donc bien un sens.
L'associativité de cette restriction est alors évidente. Dans la preuve de la proposition précédente, on a montré au passage que le neutre de était élément de
. Il est alors évidemment neutre pour la loi de composition restreinte à
. Enfin la propriété (iii) garantit l'existence d'un symétrique pour chaque élément de
.
Voyons maintenant comment ce théorème permet de fabriquer plein de groupes nouveaux et intéressants.
Exemple Soit
le groupe des bijections strictement croissantes de
vers
, muni de la composition. Montrer que
est un groupe.
(On rappellera, au cas où ce serait nécessaire, qu'une application est dite strictement croissante lorsque pour tous
et
,
entraîne
).
La bonne idée est de montrer que est un sous-groupe du groupe
. Lançons-nous.
La vérification de (i) est évidente : il est clair que l'application identique est une bijection strictement croissante de sur
.
Passons à (ii). Soit et
deux bijections strictement croissantes de
sur
. On sait déjà que
est une bijection ; montrons qu'elle est strictement croissante. Soit
et
deux réels avec
; alors
(croissance de
) puis
(croissance de
). Ceci montre bien que
est strictement croissante.
Vérifions enfin (iii). Soit une bijection strictement croissante de
vers
. Il est bien clair que
est bijective ; vérifions qu'elle est strictement croissante. Soit
et
deux réels avec
. On ne peut avoir
, car
est injective ; on ne peut avoir
, car
étant strictement croissante on en déduirait l'inégalité
, qui est fausse. Par élimination on a donc bien
.
Exemple Soit
un sous-ensemble de
et
l'ensemble des isométries
de
sur
telles que
. On montrerait par le même genre de méthode que
est un groupe parce que c'est un sous-groupe de
. Dès que
sera un peu trop patatoïdal,
se réduira à
et sera donc peu intéressant, mais si
possède des symétries raisonnables, par exemple si
est un pentagone régulier, le groupe
méritera notre attention.
Le théorème de Lagrange est un résultat simple et élégant, proposé ici surtout pour le plaisir de faire une démonstration agréable.
Théorème [de Lagrange] Soit
un groupe fini et
un sous-groupe de
. Alors le nombre d'éléments de
divise le nombre d'éléments de
.
Elle repose sur l'introduction de la relation définie pour tous éléments
de
par :
Le plan de la preuve est le suivant :
On vérifie que , comme son nom le laisse penser, est une relation d'équivalence.
On vérifie que toutes les classes d'équivalence pour la relation ont le même nombre d'éléments, à savoir le nombre d'éléments de
.
On conclut en quelques mots.
Exécution...
Étape 1. Vérifions successivement les trois propriétés requises des relations d'équivalence.
Soit un élément de
. Comme
,
. La relation
est donc réflexive.
Soit et
deux éléments de
, avec
, donc
. En prenant l'inverse,
, c'est-à-dire
, soit
: la relation
est donc symétrique.
Soit ,
et
trois éléments de
, avec
et
. On a donc
et
. En multipliant entre eux ces deux éléments de
, on obtient que
appartient à
, c'est-à-dire
, soit
. La relation
est donc transitive.
La relation est donc une relation d'équivalence.
Étape 2. Soit un élément fixé de
. L'objectif est de montrer que sa classe d'équivalence
possède le même nombre d'éléments que
. Pour ce faire, une bonne idée serait de montrer qu'il existe une bijection entre
et
. Et pour montrer qu'une bijection existe, une bonne idée pourrait être d'en sortir une de sa manche (en mathématiques, on dit «exhiber»), et voir qu'elle convient !
Introduisons donc l'application définie par : pour tout
de
,
Vérifions tout d'abord que
est bien une application. La difficulté vient ici de ce que la formule
possède certes un sens, mais qu'il faudrait savoir que
appartient bien à
. Heureusement, la question est plus facile à résoudre qu'à poser ! C'est en effet une simple vérification :
; donc
; en d'autres termes
appartient à
.
Vérifions que est une bijection. Soit
un élément de
tel que
. Cherchons les antécédents de
. Un élément
de
est antécédent de
par
si et seulement si
, c'est-à-dire si et seulement si
. Il y a donc au plus un antécédent, à savoir
, et comme en outre
, l'élément
est dans
et il y a exactement un antécédent.
Ceci montre que est une bijection, et
compte donc exactement autant d'éléments que
.
Étape 3. Il ne reste plus qu'à conclure. On dispose d'une relation d'équivalence , donc d'un ensemble-quotient
, qui constitue une partition de
. Chacune des parties de
figurant dans cette partition possède exactement
éléments ; le nombre total d'éléments de
est donc égal au produit de
par le nombre de parties de
figurant dans la partition
et est en particulier un multiple de
.
Une petite définition, à l'usage pratique pour prouver des injectivités. Pour le reste, une section courte sans guère de commentaires.
Définition Soit
un morphisme de groupes, allant d'un groupe
vers un groupe
, dont l'élément neutre est noté
. Le noyau de
est par définition l'ensemble des éléments
de
tels que
.
Notation Le noyau de
est noté
(parce que
est l'abréviation de l'allemand «Kern»).
Le fait suivant est presque évident, mais on ne peut s'interdire de le souligner.
Proposition Le noyau d'un morphisme est un sous-groupe du groupe de départ.
Soit un morphisme d'un groupe noté
de neutre noté
vers un groupe noté
de neutre noté
.
On sait que donc
, qui n'est donc pas vide.
Soit et
deux éléments de
. On a alors
, donc
appartient à
.
Proposition Soit
un morphisme de groupes, le neutre du groupe de départ étant noté
. L'application
est injective si et seulement si
.
Sans surprise, vérifions successivement les deux implications. On notera le neutre du groupe d'arrivée.
Preuve de l'implication directe.
Supposons injective. On sait déjà que
, et donc que
. Réciproquement, si
,
, et comme
est injective,
. D'où l'égalité
.
Preuve de l'implication réciproque.
Supposons que . Soit
et
deux éléments du groupe de départ vérifiant
. Alors
, donc
, donc
, donc
. Donc
est injective.
Rappelons une définition déjà utilisée en partie.
Définition Soit
un élément d'un groupe et
un entier relatif. On appelle puissance
-ième de
l'élément
défini comme valant
(n fois) si
, comme valant l'inverse de
si
et comme valant l'élément neutre si
.
Définition équivalente (évitant l'emploi des trois petits points) On définit par récurrence pour tout entier
positif ou nul en posant
puis, pour tout
,
, puis on définit directement
pour tout entier
négatif en posant
(puisque
est alors déjà défini).
Notation L'ensemble des puissances de
est noté
Proposition Soit
un élément d'un groupe et
et
deux entiers ; alors
et
.
C'est très simple à voir avec des points de suspension, en n'oubliant pas de distinguer plein de cas selon les signes des divers entiers des formules, la définition dépendant de ce signe. Comme c'est à la fois très facile et très fastidieux, on va oublier discrètement de le faire.
On en déduit aussitôt la très élémentaire
Proposition Soit
un groupe, et
un élément de
. L'ensemble
est un sous-groupe de
.
L'ensemble n'est pas vide, puisqu'il contient
. Si
et
sont deux éléments de
, on peut trouver deux entiers (relatifs)
et
permettant d'écrire
et
. Dès lors
et donc
appartient à
.
Définition Soit
un élément d'un groupe, dont le neutre est noté
. Si pour tout
,
on dit que
est d'ordre infini. Sinon on appelle ordre de
le plus petit entier
tel que
.
Afin de tenter de prévenir les confusions, introduisons un autre sens du mot «ordre», pas du tout synonyme du précédent et un peu superflu mais tellement passé dans les usages qu'on ne peut l'éviter.
Définition Soit
un groupe fini. L'ordre de
est son cardinal.
Histoire d'appliquer rétroactivement la division euclidienne, qui sera correctement définie dans le chapitre sur l'arithmétique, démontrons le
Théorème Soit
un élément d'un groupe. L'ordre de
est égal au nombre d'éléments de
.
La preuve étant plus longue que la moyenne, essayons de dégager des étapes intermédiaires avec des énoncés précis, qui nous permettront de souffler quand ils seront atteints. On notera l'élément neutre du groupe considéré.
Étape intermédiaire 1 : si l'ordre de est fini, noté
,
où on a posé
Preuve de l'étape 1. Soit un élément de
, c'est-à-dire une puissance de
. On peut donc mettre
sous forme
pour un entier relatif
. Effectuons la division euclidienne de
par
, ainsi
, avec
. On a alors
donc
appartient à
, ce qui montre l'inclusion
; l'autre inclusion étant évidente, l'étape 1 est prouvée.
Étape intermédiaire 2 : si l'ordre de est fini, le théorème est vrai.
Preuve de l'étape 2. Notons l'ordre de
. Il découle du résultat de l'étape 1 que dans cette hypothèse l'ensemble
possède au plus
éléments. L'étudiant distrait croira même qu'on a déjà prouvé qu'il en possède exactement
et qu'on a donc fini, mais son condisciple plus observateur remarquera que nous ne savons pas encore si dans l'énumération
figurent bien
éléments distincts.
Prouvons donc ce dernier fait ; supposons que dans cette énumération il y ait deux termes et
qui représentent le même élément du groupe, avec pourtant
. On aurait alors
. Mais par ailleurs, comme
, on obtient
et donc
, et comme
et
, on obtient
. Mais ceci contredit la définition de
comme le plus petit entier supérieur ou égal à
tel que
. L'hypothèse était donc absurde, et l'énumération décrivant
à l'étape 1 est une énumération sans répétition.
Le nombre d'éléments de est donc bien égal à
, et l'étape 1 est prouvée.
Étape intermédiaire 3 : si l'ordre de est infini, le théorème est vrai.
Preuve de l'étape 3. Dans ce cas, tout le travail consiste à prouver que est un ensemble infini. La vérification est du même esprit qu'à l'étape 2, en plus simple : on va prouver que pour
, les éléments
et
de
sont distincts. Pour ce faire, supposons que deux d'entre eux soient égaux ; on aurait alors
, avec pourtant
et
ne serait pas d'ordre infini. Ainsi l'étape 3 est prouvée.
Corollaire L'ordre d'un élément divise l'ordre du groupe.
Laissée au lecteur, en lui rappelant l'existence dans ce cours d'un théorème dit «de Lagrange» et en lui conseillant tout de même de bien distinguer entre ordre (cardinal) et ordre (d'un élément), comme déjà mentionné.
Histoire d'utiliser encore un peu la notion d'ordre, donnons un énoncé qui peut servir pour gagner du temps dans tel ou tel exercice très concret.
Proposition Soit
un groupe fini et
un sous-ensemble de
. Alors
est un sous-groupe de
si et seulement si :
1. L'ensemble n'est pas vide.
2. Pour tous de
, le produit
est aussi dans
.
En d'autres termes, dans le cas particulier d'un sous-ensemble d'un groupe fini (et seulement dans ce cas !) on peut faire des économies et éviter de travailler sur les ennuyeux symétriques pour examiner un potentiel sous-groupe.
Pour enfoncer le clou sur la nécessité de l'hypothèse selon laquelle est fini, on pensera au cas
et
.
La seule difficulté est évidemment de vérifier la propriété (iii) de la définition des «sous-groupes». Prenons donc un élément de
. On commence par traiter à part le cas stupide où
, et où il est clair qu'on a aussi
. Pour le cas sérieux où
, considérons le sous-groupe
de
. Ce sous-groupe est fini, puisqu'inclus dans
. On déduit donc du théorème précédent (en fait de sa partie la plus facile, l'étape 3 de sa preuve) que
est d'ordre fini. Notons
l'ordre de
; comme
, on a l'inégalité
et donc
; écrivons l'identité
, et revenons dans cette formule à la définition de
: on obtient
comme produit d'un nombre positif d'exemplaires de
; par la propriété 2 de l'énoncé de la proposition, on en déduit que
.
Il s'agit ici simplement de rajouter un peu de vocabulaire pour pouvoir décrire les propriétés que possèdent les ensembles de nombres usuels. Le chapitre se limitera donc à quelques définitions.
Définition Soit
un ensemble muni de deux opérations, notées
et
. On dit que
est un anneau lorsque les assertions (i) à (iv) sont vraies.
(i) Pour l'addition, est un groupe commutatif.
(ii) La multiplication est associative.
(iii) La multiplication possède un élément neutre.
(iv) La multiplication est distributive par rapport à l'addition ; en d'autres termes, pour tous ,
et
éléments de
,
L'archétype de l'anneau est l'ensemble des entiers relatifs ; dans un anneau quelconque on peut calculer «comme» dans
. Méfiance sur un seul point toutefois : la définition n'exigeant pas que la multiplication soit commutative, certaines formules peuvent être un peu plus perverses ; par exemple
se développe en
, mais ne peut pas dans un anneau trop général être regroupé en
puisque
n'a aucune raison d'être égal à
.
Voici un autre exemple.
Proposition Soit
un espace vectoriel. L'ensemble des applications linéaires de
vers
, noté
, est un anneau pour l'addition et la composition.
Les propriétés d'«anneau» sont généralement évidentes à vérifier ; la plus intéressante est la distributivité, qui est liée à la linéarité, et que nous laissons gentiment au lecteur. Le neutre pour la composition est sans surprise l'application identique.
Si on choisit pour espace vectoriel et que l'on représente les éléments de
par des matrices carrées, on obtient l'anneau
des matrices carrées de taille
à coefficients réels.
Définition Soit
un anneau et
un entier. L'anneau des matrices carrées de taille
à coefficients dans
, noté
, est défini par les lois de composition suivantes. Si
et
sont deux éléments de
,
Le neutre de pour l'addition est la matrice nulle, dont tous les coefficients valent le neutre de l'addition de
. Le neutre de
pour la multiplication est la matrice identité, dont tous les coefficients valent le neutre de l'addition de
sauf ceux de la diagonale qui valent le neutre de la multiplication de
.
Définition Un anneau est dit commutatif quand sa multiplication est commutative.
Définition Un anneau
est dit intègre lorsque :
(i) L'anneau possède au moins deux éléments.
(ii) Pour tous et
éléments non nuls de
,
.
Une classe particulière d'anneaux est celle des anneaux tels que la deuxième loi (la multiplication) fournit aussi une structure de groupe (sur l'anneau privé de son zéro).
Définition On dit qu'un anneau
est un corps commutatif lorsque :
(i) La multiplication est commutative.
(ii) L'anneau possède au moins deux éléments.
(iii) Tout élément non nul de possède un inverse pour la multiplication.
Les archétypes de corps commutatifs sont naturellement , ensemble des fractions, et, encore mieux connus des étudiants,
et
. Un autre archétype, au moins aussi important malgré sa simplicité, est
pour
premier. Nous avons déjà défini l'addition sur
. On définit une multiplication
, en convenant que
est l'unique entier
tel que
est divisible par
. On démontre facilement que
est un anneau pour tout entier
, et que c'est un corps, si et seulement si
est premier. Ces corps servent entre autres en cryptographie. Le plus petit d'entre eux,
, peut être considéré comme la base de toute l'informatique : excusez du peu !