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Les nombres réels
Bernard Ycart
Licence CC-BY
Origine : M@ths en ligne - Université Joseph Fourier
Document produit en ouvrant un fichier Tex
Mots-clés: réel, addition, multiplication, ordre, borne, majorant, minorant, rationnel, irrationnel, approximation
Sommaire
Vous savez déjà compter, et vous connaissez les propriétés des réels. Une seule nouveauté dans ce chapitre, la notion de borne (supérieure ou inférieure) d'un ensemble. Au-delà des définitions, vous allez commencer à vous habituer aux «epsilons strictement positifs», à comprendre comme des quantités pouvant prendre des valeurs arbitrairement petites. À part ça, pas grand chose de neuf ni de difficile dans ce chapitre d'introduction à l'analyse.
Nous ne présenterons pas de construction axiomatique de l'ensemble des nombres réels. Cette section rappelle quelques notations, les propriétés des opérations (addition, multiplication) et de la relation d'ordre.
Nous utilisons les notations classiques suivantes pour les ensembles emboîtés de nombres .
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L'exposant signifie «privé de
». Ainsi,
,
.
Pour les calculs usuels (à la main, sur les calculettes ou par ordinateur), ce sont forcément des nombres décimaux, donc rationnels, que l'on manipule. Pourtant l'ensemble n'est pas un cadre de calcul mathématiquement suffisant, pour plusieurs raisons, qui seront énoncées dans la suite de ce chapitre. La première, reconnue dès l'antiquité grecque, est que certaines quantités, qui pourtant apparaissent couramment en géométrie élémentaire, ne s'expriment pas comme rapports d'entiers. La plus simple est la diagonale d'un carré de côté
, à savoir
: nous verrons plus loin que
n'est pas un nombre rationnel;
,
, ou
n'en sont pas non plus.
Les propriétés de l'addition, de la multiplication et de la relation d'ordre sont rappelées ci-dessous.
Addition
Associativité :
Élément neutre :
Opposé :
Commutativité :
L'ensemble des réels muni de l'addition est un groupe commutatif.
Multiplication
L'ensemble (ensemble des réels privé de
), muni de la multiplication, est un autre groupe commutatif.
Associativité :
Élément neutre :
Inverse :
Commutativité :
Distributivité :
L'ensemble des réels muni de l'addition et de la multiplication est un corps commutatif.
Relation d'ordre
Réflexivité :
Transitivité :
Antisymétrie :
Ordre total :
Les trois premières propriétés définissent une relation d'ordre. Ici l'ordre est total car deux réels quelconques peuvent toujours être comparés.
Pour des raisons de commodité, on utilise aussi couramment les notations :
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On utilise aussi les ensembles de réels notés ,
,
et
.
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La relation d'ordre est compatible avec l'addition par un réel quelconque, et avec la multiplication entre réels positifs.
Comme conséquence de ces relations de compatibilité, on obtient les règles suivantes qui permettent de combiner des inégalités.
On peut donc ajouter deux inégalités de même sens (attention : on ne peut pas ajouter deux inégalités de sens opposés ni soustraire deux inégalités de même sens).
On peut multiplier deux inégalités de même sens, si elles concernent des réels positifs ou nuls. (attention : on ne peut pas mutiplier deux inégalités de sens opposés, ni diviser des inégalités de même sens, ni multiplier des inégalités qui concernent des réels négatifs). Pour se ramener à des inégalités de même sens, ou à des réels positifs, il peut être utile de changer de signe ou de passer à l'inverse.
Définition Soit une partie de
et
un réel. On dit que
est un majorant de
si :
De même, est un minorant de
si :
On dit qu'un ensemble de réels admet un plus grand élément (respectivement plus petit élément) s'il existe
tel que pour tout
,
(respectivement :
). Donc le plus grand élément (s'il existe il est nécessairement unique) est à la fois un majorant de
et un élément de
. Le fait que l'ordre sur
soit total entraîne que tout ensemble fini de réels admet un plus petit élément et un plus grand élément. Si
est un ensemble fini de réels, nous noterons
le plus petit et
le plus grand élément. Nous réserverons les notations
et
aux ensembles finis. Un ensemble infini de réels n'admet pas nécessairement de plus petit ou de plus grand élément. Voici quelques exemples.
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Non seulement n'a pas de plus grand élément mais de plus aucun réel n'est plus grand que tous les éléments de
. Par contre, les 5 derniers ensembles du tableau ci-dessus sont bornés au sens suivant.
Définition Soit une partie de
(un ensemble de réels). On dit que
est :
majorée s'il existe un majorant de
,
minorée s'il existe un minorant de
,
bornée si
est à la fois majorée et minorée.
Si est un majorant de
, alors
,
et plus généralement tout réel plus grand que
sont aussi des majorants. Nous admettrons pour l'instant le théorème suivant, dont nous donnerons une démonstration dans la section 1.6.
Théorème Soit une partie non vide de
.
Si est majorée, alors l'ensemble des majorants de
admet un plus petit élément.
Si est minorée, alors l'ensemble des minorants de
admet un plus grand élément.
Définition Soit une partie non vide de
.
Si est majorée, on appelle borne supérieure de
et on note
le plus petit des majorants de
.
Si est minorée, on appelle borne inférieure de
et on note
le plus grand des minorants de
.
Du fait que l'ordre des réels est total, la borne supérieure et la borne inférieure, si elles existent, sont nécessairement uniques. Lorsque admet un plus grand élément, la borne supérieure de
est ce plus grand élément. Lorsque
admet un plus petit élément, la borne inférieure de
est ce plus petit élément. On étend la définition de
et
aux ensembles non majorés et non minorés par la convention suivante.
Si n'est pas majorée,
Si n'est pas minorée,
Reprenons comme exemples les 6 ensembles du tableau précédent.
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Dans le cas où est majorée et n'admet pas de plus grand élément, alors
n'appartient pas à
, mais on trouve néanmoins des éléments de
arbitrairement proches de la borne supérieure.
Proposition Soit une partie non vide de
.
Si est majorée, alors
Si est minorée, alors
Comme est le plus petit des majorants,
ne peut pas être un majorant. Il existe donc un élément de
supérieur à
. Comme
est un majorant, cet élément est inférieur à
. Le raisonnement pour
est analogue.
Nous allons souvent rencontrer dans ce cours des réels strictement positifs arbitrairement petits. On peut s'en faire une idée concrète en pensant
, ou bien
. Prenons comme exemple
. La borne inférieure est
. La proposition permet d'affirmer que pour tout
, il existe un élément de l'ensemble inférieur à
. Et d'ailleurs l'équivalence ci-dessous permet de l'exhiber.
Pour ,
.
La proposition admet la réciproque suivante.
Proposition Soit une partie non vide de
.
Si est un majorant de
tel que
alors
.
Si est un minorant de
tel que
alors
.
Si alors pour tout
,
n'est pas un majorant de
, donc si
est un majorant, c'est bien le plus petit.
Le raisonnement pour est analogue.
La borne supérieure peut donc être caractérisée de deux manières différentes.
est le plus petit des majorants de
est le seul majorant
de
tel que pour tout
, il existe un élément de
entre
et
.
De manière analogue,
est le plus grand des minorants de
est le seul minorant
de
tel que pour tout
, il existe un élément de
entre
et
.
En liaison avec la proposition précédente, voici pour terminer cette section une application simple des notions de borne supérieure et inférieure, que l'on retrouve dans beaucoup de démonstrations.
Proposition Soient et
deux réels.
Si pour tout ,
alors
.
Si pour tout ,
alors
.
Considérons la première affirmation. l'ensemble a pour borne supérieure
. L'hypothèse affirme que
est un majorant de cet ensemble. Il est donc supérieur ou égal à la borne supérieure, par définition de celle-ci. Or d'après la proposition, la borne supérieure de
est
. La seconde affirmation est analogue.
L'ensemble de la démonstration précédente est un intervalle de
. Nous les décrivons dans la section suivante.
Définition Une partie de
est un intervalle si, dès qu'elle contient deux réels, elle contient tous les réels intermédiaires :
Par exemple, est un intervalle, car tout réel compris entre deux réels positifs est positif. Mais
n'en est pas un, car il contient
et
sans contenir
. L'ensemble vide et les singletons sont des cas très particuliers d'intervalles. Nous allons utiliser
et
pour caractériser tous les intervalles contenant au moins deux éléments. Ils se répartissent en 9 types, décrits dans le tableau ci-dessous. Dans ce tableau,
et
désignent deux réels tels que
.
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Voici la discussion pour les intervalles bornés. Si un intervalle est borné et contient deux éléments, il admet une borne inférieure et une borne supérieure distinctes. Notons
Par définition de
et
, tout élément
de
est entre
et
:
Nous allons montrer que tout réel
tel que
appartient à
. En effet, si
,
n'est ni un majorant, ni un minorant de
. Il existe donc deux éléments
et
de
tels que
. Par la définition def:intervalle,
appartient à
. Selon que
et
appartiennent ou non à
, on obtient les 4 premiers types du tableau.
Considérons maintenant un intervalle minoré mais non majoré. Soit la borne inférieure. Tout élément de
est supérieur ou égal à
. Montrons que
contient tous les réels
strictement supérieurs à
. Comme
n'est pas un minorant,
contient un élément
, et comme
n'est pas majoré, il contient un élément
. Donc
appartient à
. Selon que
appartient ou non à
, on obtient
types d'intervalles non majorés. Les deux types d'intervalles non minorés sont analogues.
Enfin, si un intervalle n'est ni majoré, ni minoré, pour tout réel
, on peut trouver deux réels
et
dans
tels que
, ce qui entraîne
. Donc
.
Un nombre rationnel est le quotient de deux entiers relatifs. La somme de deux rationnels, ainsi que leur produit, sont des rationnels. Muni de l'addition et de la multiplication, est un corps commutatif totalement ordonné, comme
. En revanche,
ne possède pas la propriété de la borne supérieure. L'ensemble des rationnels dont le carré est inférieur ou égal à
est non vide, majoré, mais il n'a pas de borne supérieure dans
, car
est irrationnel. C'est une application du résultat suivant.
Proposition Soient et
deux entiers strictement positifs. Le nombre
est soit entier, soit irrationnel.
Nous allons démontrer que si est rationnel, alors il est entier. Soient
et
deux entiers premiers entre eux tels que
. Alors,
. Mais alors
divise
, or
et
sont premiers entre eux. Ce n'est possible que si
et
.
Observons que la somme d'un rationnel et d'un irrationnel est irrationnelle ; il en est de même pour leur produit. Par contre la somme ou le produit de deux irrationnels peuvent être rationnels (par exemple et
).
Les rationnels et les irrationnels sont intimement mêlés, comme le montre le théorème suivant.
Théorème Si un intervalle de contient au moins deux points distincts, il contient au moins un rationnel et un irrationnel.
On traduit cette propriété en disant que et
sont denses dans
.
Soit un intervalle contenant deux points
et
, tels que
. Soit
un entier strictement supérieur à
et
le plus petit entier strictement supérieur à
. On a donc :
et comme
est strictement positif,
D'où :
Donc l'intervalle
, inclus dans
, contient le rationnel
.
De même, l'intervalle contient un rationnel
; donc
contient
, qui est irrationnel.
En fait, tout intervalle contenant au moins deux points contient une infinité de rationnels et une infinité d'irrationnels.
Les rationnels que l'on manipule le plus souvent sont les nombres décimaux, qui sont les multiples entiers de , où
est le nombre de chiffres après la virgule :
Les nombres décimaux sont le moyen le plus courant d'approcher les réels.
Nous définissons d'abord les outils de base de l'approximation que sont la valeur absolue, la distance et la partie entière.
La valeur absolue d'un réel , notée
, est
. Elle est égale à
si
est positif,
si
est négatif.
Si et
sont deux réels quelconques, la valeur absolue du produit
est le produit des valeurs absolues ;
. Par contre, on peut seulement encadrer la valeur absolue de la somme.
Proposition Soient et
deux réels quelconques. La valeur absolue de leur somme est majorée par la somme des valeurs absolues, et minorée par la différence des valeurs absolues.
.
Quitte à échanger et
, nous pouvons supposer sans perte de généralité que
. Si l'un des deux est nul, alors les inégalités sont vérifiées : ce sont des égalités. Sinon, il suffit d'examiner les 4 cas possibles selon le signe de
et
.
et
:
et
:
et
:
et
:
Observez que dans tous les cas, l'une des deux inégalités est une égalité, mais ce n'est pas toujours la même.
En remplaçant par
, on obtient le même encadrement pour la valeur absolue d'une différence.
On appelle distance entre deux réels
et
la valeur absolue de leur différence. La proposition appliquée à
, entraîne :
Pour aller d'un point à un autre, on ne peut qu'allonger le parcours si on s'impose de passer par un troisième : c'est l'inégalité triangulaire.
Étant donné un réel et un réel
strictement positif, nous dirons que
est une approximation (ou une valeur approchée) de
«à
près» si la distance de
à
est inférieure à
, ce qui équivaut à dire que
appartient à l'intervalle
.
Les approximations décimales se construisent à l'aide de la partie entière. La partie entière d'un réel
est le plus grand entier inférieur ou égal à
. On le note
:
On en déduit :
La partie entière de
est
. Attention : la partie entière de
est
, et non
. On appelle partie décimale de
et on note
, la différence de
avec sa partie entière.
Soit un réel, et
un entier. Considérons la partie entière de
:
donc,
Le nombre décimal
est l'approximation de
par défaut à
près. Observez que
et
coïncident jusqu'à la dernière décimale de
:
Par exemple, pour ,
Réciproquement, la donnée d'une suite de décimaux , telle que
détermine un réel tel que pour tout
. La suite
est croissante et converge vers
. Notez
peut déterminer un réel dont elle n'est pas la suite d'approximations décimales, dans le cas où
est lui même décimal :
En théorie, on peut approcher un réel
par un nombre décimal à n'importe quelle précision. En pratique, la précision habituelle sur des calculs d'ordinateurs est de l'ordre de
.
Le but de cette section est de démontrer le théorème : toute partie non vide et majorée de admet une borne supérieure et toute partie non vide et minorée admet une borne inférieure. Soit
une partie non vide et majorée de
:
Si
, alors
.
Si est non vide et majorée, alors
est une partie non vide et minorée. Si la borne supérieure de
(plus petit des majorants de
) existe, alors la borne inférieure de
(plus grand des minorants) existe aussi et réciproquement ; de sorte que nous nous dispenserons de démontrer l'existence de la borne inférieure.
La démontration va consister à construire explicitement la borne supérieure, en déterminant ses approximations décimales par défaut. Nous vérifierons ensuite que le réel ainsi construit est bien le plus petit des majorants.
Soit une partie non vide de
et
un majorant de
. Pour tout
, l'ensemble
est un ensemble d'entiers, majoré par
. Il admet donc un plus grand élément. Divisons chacun de ses éléments par
:
L'ensemble
est l'ensemble des approximations par défaut à
près des éléments de
. Comme le précédent, il admet un plus grand élément, que nous noterons
. Par construction, pour tout
,
. Nous allons démontrer par l'absurde que
Si ce n'était pas le cas, il existerait
tel que
Mais alors
serait supérieur ou égal à
, ce qui contredit la définition de
. La suite
est donc bien une suite d'approximations décimales et détermine un réel unique que nous notons
. Nous voulons montrer
est la borne supérieure de
. Montrons d'abord que c'est un majorant de
. Toujours par l'absurde, supposons qu'il existe
tel que
. Fixons
tel que
. Alors
ce qui contredit la définition de
. Il nous reste à montrer que pour tout
, il existe
tel que
. Fixons
tel que
. Par construction, il existe
tel que
. Donc
Ne nous leurrons pas : la démonstration qui précède, si elle présente l'avantage de construire explicitement la borne supérieure, n'est pas parfaitement étanche. Vous avez dû admettre qu'une suite d'approximations décimales détermine un réel, ce qui pour être parfaitement intuitif, n'en est pas moins un acte de foi. Pour le justifier, il vous manque une construction axiomatique de l'ensemble des réels, que nous vous raconterons certainement un jour, mais qui pour l'heure dépasse sensiblement le niveau de ce chapitre.